Les pertes agricoles restreintes et les gentlemen farmers

7 novembre 2011

Les auditions de la cour Suprême du Canada (CSC) en matière de fiscalité ne sont pas très fréquentes. L’une d’elles est prévue pour le 23 mars 2012 alors qu’elle se penchera sur le paragraphe 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.) sur les pertes agricoles restreintes qui limite les pertes agricoles pour les contribuables dont les revenus ne proviennent pas principalement de l’agriculture.

Afin de comprendre les enjeux de ces pertes agricoles restreintes, rappelons brièvement ces règles de l’article 31 L.I.R.

Il est stipulé qu’un contribuable remplissant les critères énumérés – sur lesquels nous reviendrons – se voit limiter les pertes agricoles qu’il peut appliquer à l’encontre de ses autres revenus. Le montant maximal déductible est le moindre de ses pertes réelles et du résultat de la formule suivante :

2 500 $ plus le minimum entre 6 250 $ et la moitié des pertes qui excèdent 2 500 $.

Ceci fait en sorte que les pertes réelles ouvrent droit à une déduction jusqu’à ce qu’elles atteignent un montant de 15 000 $, pour un total déductible de 8 750 $. Tout montant de perte non déductible dans une année se qualifie à titre de « perte agricole restreinte » en vertu du paragraphe 31(1.1) L.I.R. Ces pertes restreintes peuvent être reportées à l’encontre de revenus agricoles, à l’instant des pertes d’entreprise, trois ans dans le passé et 20 ans dans le futur en vertu de l’alinéa 111(1)c) L.I.R.

Pour les agriculteurs exploitant leur entreprise agricole à plein temps, ces dispositions ne s’appliquent pas. En fait, les contribuables visés sont ceux dont les revenus ne proviennent « principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source » en vertu du paragraphe 31(1) L.I.R.

Or, c’est justement sur cette définition que devrait se pencher la CSC en mars prochain. La cour d’appel fédérale (CAF), dans une cause récente (La Reine c. Craig, 2011 CAF 22), a considéré qu’un avocat impliqué dans l’achat, l’élevage, la vente et la course de chevaux à temps partiel n’était pas assujetti à cette disposition alors que l’ARC allègue évidemment le contraire. Ses pertes « agricoles » de plus de 200 000 $ dans chacune des années 2000 et 2001 ont été appliquées à l’encontre de ses revenus provenant de la pratique du droit.

Le problème vient du fait que « combinaison de l’agriculture et de quelque autre source » sont des termes vagues qui amènent deux interprétations extrêmes possibles. À l’une des extrémités, les tenants de la partie « contribuable » affirment qu’une combinaison ne signifie simplement que l’addition de deux sources de revenus qui, additionnées, constitue la principale source de revenu du contribuable. De cette façon, un revenu agricole pourrait être combiné à toute source de revenu importante et l’article ne s’appliquerait jamais.

À l’autre extrémité, les tenants de la partie ARC soutiennent qu’une activité générant des pertes ne peut être une source de revenu et l’article s’appliquerait toujours dans le cas où les revenus agricoles sont inférieurs aux revenus d’autres sources.

En 1978, dans la cause Moldowan[1], la CSC avait conclu que les autres activités devaient être subordonnées aux activités agricoles afin que la déduction puisse s’appliquer à l’encontre des revenus générés par ces autres activités.

Or, cette position a été ignorée par la CAF en 2006 dans une autre cause[2], la CAF alléguant qu’il est inacceptable d’ajouter un tel vocabulaire dans l’interprétation de la Loi.

Afin de définir si les revenus sont principalement tirés de l’agriculture, le juge Sharlow a plutôt préféré une analyse plus globale tenant compte notamment, du temps consacré, du capital investi, du mode de vie, de l’historique agricole et des intentions futures du contribuable.

C’est cette décision qui a fait pencher la balance de la CAF en février dernier. Mais l’ARC ne s’avoue pas vaincue si facilement. La décision de la CSC à propos de la définition d’un « vrai farmer » devrait être connue d’ici la fin 2012… à suivre…


[1] Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480

[2] Gunn c. Canada (2006 CAF 281)