Le roulement de l'article 85

31 août 2012

Lorsqu’on parle de fiscalité corporative, on fait peur à bien des conseillers financiers. On y parle d’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD), de compte de dividendes en capital (CDC), de capital versé, de taux d’impôt différents… Or, lorsqu’on prend le temps de s’arrêter, la plupart des notions sont relativement faciles à comprendre (et à retenir) car elles relèvent du « gros bon sens ».

L’une de ces notions est celle de « roulement », c’est-à-dire le transfert d’un bien d’un particulier ou d’une société de personnes à une société par actions. Cette notion est importante pour le conseiller financier non fiscaliste car elle permet à ce dernier de rassurer son client par rapport à certaines transactions.

L’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) permet ainsi le transfert de certains biens à une société sans qu’il n’y ait d’impact fiscal immédiat. Quand je parle de gros bon sens, je fais référence ici au fait qu’il est normal qu’un particulier décidant de passer de l’exploitation d’une entreprise individuelle à l’exploitation de celle-ci par le biais d’une société qu’il crée, n’ait pas d’impôt à payer au moment où il fait ce choix. De plus, l’impôt n’est pas éliminé mais simplement reporté comme si l’entreprise avait continué d’être exploitée de façon individuelle.

De façon intuitive, on comprend donc que les caractéristiques fiscales des biens transférés seront conservées en plus d’être reflétées dans celles des actions. Afin de bien comprendre comment un roulement s’effectue, prenons un exemple. Disons que Paul exploite une entreprise depuis quelques années sans avoir créé de société car ses bénéfices ne justifiaient pas un tel choix. En effet, les effets positifs d’une incorporation se font sentir lorsqu’on peut laisser assez de liquidités dans la société.

Maintenant Paul est prêt à incorporer son entreprise et il se demande quelles seront les impacts fiscaux d’une telle décision. Disons qu’il détient un terrain payé 20 000 $ et qui en vaut aujourd’hui 30 000 $ avec un bâtisse payée 100 000 $ qui en vaut aujourd’hui 150 000 $ et sur laquelle un montant de 20 000 $ d’amortissement a été pris. De plus, sa clientèle a une valeur de 25 000 $. Ses actifs valent donc 205 000 $ au total.

L’article 85 permet de faire un CHOIX de ne pas avoir d’impact fiscal immédiat, ce n’est donc pas automatique, comme dans le cas d’un roulement au conjoint en cas de décès. Si l’objectif de Paul est d’éliminer tout impact immédiat, il devra l’indiquer aux autorités par les formulaires T2057 au fédéral  et TP-518 au Québec au moment de produire sa déclaration de revenus personnelle. Les biens pouvant ainsi être transférés sont les suivants :

  • les immobilisations d’un résident canadien, c’est-à-dire les biens dont la disposition entraîne un gain ou une perte en capital de même que les biens amortissables
  • les immobilisations admissibles, telles l’achalandage (la valeur de la clientèle) dont la disposition est imposable comme un revenu d’entreprise mais à 50 % seulement
  • les biens en inventaire (excluant des immeubles), c’est-à-dire des biens achetés en vue d’être revendus et dont la disposition entraîne un revenu d’entreprise

Comme Paul détient un terrain, une bâtisse et une liste de clients, il pourra « rouler » tous ces biens sans impact fiscal immédiat. Pour ce faire, il devra choisir une somme convenue pour chacun de ces biens. Une somme convenue est un montant considéré comme le produit de disposition aux fins fiscales. Si les sommes convenues n’excèdent pas les prix de base rajustés (PBR) des biens, il n’y aura aucun gain en capital immédiat, donc aucun impôt à payer. Les sommes convenues permettant à Paul de sortir des sommes libres d’impôt au maximum devraient donc être les suivantes :

Terrain : 20 000 $, c’est-à-dire le prix payé

Bâtisse : 80 000 $, c’est-à-dire la fraction non amortie du coût en capital (FNACC)

Clientèle : 1 $ (car c’est une clientèle qu’il a développée lui-même à partir du début). Dans les faits, une position administrative empêche de choisir une somme convenue inférieure à 1 $.

 

Une fois ce choix fait, des actions (minimum une action) doivent être émises. Le transfert doit avoir lieu à la juste valeur marchande (JVM) des biens en vertu de l’article 69 LIR car Paul et sa société ont un lien de dépendance. Le paiement de ces biens à Paul, quant à lui, peut être sous les formes suivantes :

  • actions émises : au moins une action doit être émise en contrepartie
  • argent : la société n’en a pas encore…
  • billet à demande : dette à rembourser à Paul lorsque la société aura les liquidités
  • assomption de prêt : payer la dette d’une autre personne équivaut à lui verser de l’argent

Paul aura donc le choix parmi ces options pour se faire payer la valeur de ses actifs qu’il transfère. Le montant autre qu’en actions (argent, billet, assomption de dette) ne peut être supérieur à la somme convenue. En fait, c’est la somme convenue qui doit se situer à l’intérieur de certaines limites. Le reste de la valeur du transfert, sera reflété dans la valeur des actions émises.

Par exemple, - présumons qu’il n’y a pas de dette sur l’immeuble – Paul pourrait recevoir un billet de 100 001 $ (ou moins), soit le total des sommes convenues ainsi qu’une ou des actions dont la JVM serait de 104 999 $ soit la valeur de ses actifs transférés moins la valeur du billet.

Pendant ce temps, les actifs transférés conservent leurs attributs. Par exemple, la bâtisse fera l’objet d’une DPA (dépréciation pour amortissement) censée prise même si ce n’est pas la société qui l’a prise mais bien Paul avant le transfert. Le coût en capital et la FNACC demeureront les mêmes.

La façon de calculer le PBR et le capital versé (CV) des actions émises pourra faire l’objet d’un autre texte. Disons, pour l’instant, que le PBR et le CV dans notre exemple serait nul.

Évidemment, s’il est prévu que les actifs ET les actions reçues soient vendus à court terme, il peut résulter une double imposition car il y aurait un gain sur les actifs de la société (terrain, bâtisse, clientèle) et Paul aurait un gain en capital sur ses actions. Cependant, le passage du temps, à lui seul, élimine ce problème.

Comme vous pouvez le constater, nous n’avons qu’effleuré ce sujet mais une bonne compréhension des principes de base peut vous aider à aiguiller, tout au moins, votre client dans la bonne direction pour qu’il puisse ensuite faire appel à des spécialistes.