L'assurance vie détenue par une société, qu'en est-il au juste ?

19 avril 2011

Il est généralement avantageux pour un actionnaire de faire détenir par sa société sa ou ses polices d’assurance vie sur sa tête. L’avantage principal est que les primes sont payées avec de l’argent avant impôt personnel.

Il y a toutefois quelques éléments dont il faut tenir compte afin de ne pas faire d’erreur coûteuse.

Tout d’abord, il y a la notion d’avantage imposable pour le paiement de la prime. Une société payant les primes d’une police d’assurance vie sur la tête d’un ou de plusieurs actionnaires doit en être elle-même bénéficiaire en cas de décès. Dans le cas contraire, il y aura un avantage imposable égal au montant de la prime payée par la société à l’entité bénéficiant de cet avantage.

Dans le cas où cette entité est un actionnaire – personne physique ou société mère – , c’est le paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.) qui s’applique. Dans le cas contraire, par exemple dans le cas où une société mère paie les primes d’une police dont sa filiale est bénéficiaire, c’est l’article 245 L.I.R., soit la règle générale anti-évitement (RGAÉ), qui pourrait s’appliquer, à moins de la démonstration d’une raison économique réelle derrière ce scénario.

Lorsqu’une société mère est bénéficiaire d’une police dont les primes sont payées par une filiale, il y a donc un avantage imposable découlant de cette situation. Cependant, le problème peut être facilement corrigé sans impact fiscal. En effet, comme les dividendes imposables reçus d’une société canadienne imposable (ou d’une société résidant au Canada) contrôlée par une autre société, en vertu du paragraphe 112(1) L.I.R., le versement d’un dividende à cette autre société n’a aucun impact. À défaut de verser un dividende en nature (la police), la filiale n’a donc simplement qu’à verser un dividende équivalent à la prime afin que la société mère bénéficiaire puisse en défrayer le coût elle-même.

Lorsque la succession d’un actionnaire – une personne physique – (ou ses héritiers nommément désignés dans le contrat d’assurance vie ou dans un testament) est bénéficiaire d’une police d’assurance vie détenue par une société, cet actionnaire devra, quant à lui, inclure dans son revenu imposable, le montant de la prime payée par la société. Afin de remédier à cette situation, il faut simplement procéder à un changement de bénéficiaire en faveur de la société car cette opération n’entraîne pas une disposition de la police en vertu du paragraphe 148(9) L.I.R.

Si le changement de bénéficiaire n’est pas effectué, par exemple dans le cas où l’actionnaire veut désigner un membre de sa famille non actionnaire comme bénéficiaire, peut-on conclure que la société ne doit absolument pas payer la prime au nom de son actionnaire ?

Un actionnaire étant visé par le paragraphe 15(1) L.I.R. est généralement victime d’une double imposition. Cependant, dans le cas d’une assurance vie, la prime n’étant généralement pas déductible de toute façon par la société, il pourrait être légitime de se demander dans quelle mesure il ne serait pas avantageux de simplement faire payer la prime par la société et payer l’impôt personnel y afférent. Cette situation se produit d’ailleurs dans tous les cas où une dépense n’est pas déductible par la société.

Afin de connaître la réponse à cette interrogation, prenons un exemple simple.

Jean est actionnaire de ABC inc. à 100 %. Il détient une police d’assurance vie dont la prime est de 10 000 $ par année. S’il paie lui-même sa prime en se versant un dividende suffisant, il doit se verser un dividende de 15 711 $ au taux marginal maximal des dividendes non déterminés.

Cependant, s’il laisse sa société payer sa prime, il aura un revenu imposable supplémentaire de 10 000 $. Cela signifie qu’il devra payer 4 822 $ en impôt au taux maximal. Si on faisait la comparaison du total payé, on conclurait que Jean a avantage à faire payer sa prime d’assurance vie par sa société. Le total déboursé dans ce cas n’est que de 14 822 $, soit près de 1 000 $ de moins que dans l’autre scénario…

Faire ce type de raisonnement conduit cependant à une grave erreur. Afin de comparer des pommes avec des pommes, il y a deux avenues possibles.

1. Jean doit se verser un dividende suffisant pour payer cet impôt afin que le déboursé total provienne de la société. De cette façon, la source des déboursés étant la même, on peut être certain que les scénarios sont comparables. Un tel dividende est de 7 575 $ au taux maximal d’imposition des dividendes. Le total est donc ici de 17 575 $, soit 1 864 $ de plus qu’un simple dividende de 15 711 $ qui lui aurait permis de payer sa prime.

2. Si Jean utilise son argent personnel pour payer cet impôt de 4 822 $, il faudrait considérer que ce montant aurait pu servir au paiement de la prime, auquel cas, la prime aurait été payée en partie par Jean et en partie par sa société. L’avantage imposable de Jean aurait donc été réduit en conséquence. En effet, Jean aurait eu besoin de 5 178 $ après impôt provenant de sa société sous forme de paiement partiel de la prime. Le même raisonnement que ci-dessus (au point 1) peut alors s’appliquer sur ce montant et ce scénario devient, par conséquent, désavantageux.

Dans les deux cas, il est donc préférable de se verser un dividende et non de se voir taxer un avantage imposable.

Il reste cependant une question en suspend : si les taux d’imposition de l’actionnaire ne sont pas les taux maximums, cette conclusion tient-elle toujours la route ?

Le tableau ci-dessous indique le dividende supplémentaire qu’un actionnaire doit se verser s’il est frappé par 15(1) L.I.R. d’un avantage imposable de 10 000 $ selon se autres revenus imposables, calculés par tranche de 100 $. On constate qu’un impact négatif se fait sentir à compter d’un revenu imposable de 600 $ et, qu’à compter d’un niveau de revenu de 9 100 $, ce dividende supplémentaire diminue graduellement de 1 902 $ à 1 864 $ en 2011, pour un revenu correspondant à 110 300 $.

Une autre notion importante à considérer est la disposition d’une police d’assurance vie. En effet, qui dit « disposition » dit « calcul à faire »… Le gain sur la disposition d’un intérêt dans une police d’assurance vie est imposable à 100 %, et non à 50 % comme un gain en capital car une police d’assurance vie n’est pas une immobilisation. Le montant imposable est donc le suivant :

Montant imposable = produit de disposition (PD) – coût de bas rajusté (CBR)

En vertu du paragraphe 148(9) L.I.R., les événements suivants constituent une « disposition » des intérêts dans une police d’assurance vie :

  • Rachat total ou partiel de la police
  • Avance sur police, incluant avance d’office de prime
  • Échéance d’une police temporaire
  • Déchéance après le délai de grâce
  • Paiement de participations
  • Transformation en rente (polices acquises depuis le 2-12-82)
  • Perte du statut de police exonérée
  • Décès si police non exonérée
  • Cession
  • Effet de la loi (jugement...)

Notons que dans le cas du paiement des participations « à l’interne », soit sous forme de paiement de prime, le produit de disposition est réputé nul car il est réduit du montant de la prime payée. Dans le cas d’une cession au conjoint ou à un enfant si ce dernier est l’assuré, le produit de disposition est réputé correspondre au CBR. Dans ces deux situations, il n’y a donc pas d’impact fiscal.

La définition exacte du CBR est relativement complexe mais disons qu’elle correspond grosso modo au total des primes payées moins le coût net d’assurance pure (CNAP) cumulatif défini comme étant la prime annuelle nécessaire à la couverture du montant qui est « à risque » de la part de l’assureur selon une table prescrite. La définition exacte du CNAP se retrouve à l’article 308 du Règlement de l’impôt sur le revenu.

La notion de disposition est cruciale car elle peut découler en une facture fiscale très salée pour les personnes non averties. J’assiste souvent à des cas où il y a eu un changement de titulaire sans que quoi que ce soit ait été fait afin de connaître les éventuels impacts fiscaux. Danger...

Règle générale, lorsqu’une police d’assurance vie fait l’objet d’une cession, le produit de disposition est égal à la juste valeur marchande (JVM) de la police à moins des exceptions vues ci-haut. Le cessionnaire acquiert la police pour un CBR égal à cette JVM.

Cependant, lorsque deux personnes transigent alors qu’elles ont un lien de dépendance (personnes liées ou agissant de concert), elles sont réputées transiger à la JVM du bien même si le prix convenu entre les parties est différent. L’assurance vie ne fait pas exception.

Cela signifie que si une personne cède sa police à une autre personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, peu importe le prix réellement payé, le gain imposable ne variera pas. Dans ce cas, le produit de disposition ne sera toutefois pas réputé être la JVM de la police mais sa valeur de rachat en vertu de 148(7) L.I.R. La formule devient donc, dans ce cas précis :

Montant imposable = valeur de rachat – CBR

Comme la valeur de rachat d’une police d’assurance vie est toujours égale ou inférieure à sa JVM, il s’ensuit possiblement des économies d’impôt. Par exemple, lorsqu’un actionnaire dispose de sa police au bénéfice d’une société qu’il contrôle (personne liée), la société peut – et devrait – payer la juste valeur marchande à l’actionnaire. D’ailleurs une police d’assurance vie ne constitue pas un bien pouvant faire l’objet d’un roulement de l’article 85 L.I.R.

L’impact fiscal de l’actionnaire, quant à lui, est inférieur à celui de la règle générale dès que la JVM excède la valeur de rachat, ce qui est souvent le cas. L’actionnaire peut ainsi sortir des sommes de sa société libres d’impôt. Plus la JVM est élevée, plus ces sommes sont importantes.

Qu’est-ce qui donne une JVM élevée à une police ?

Le principal critère est la non-assurabilité de l’assuré. Pour les polices temporaires, cet élément est même essentiel car en son absence, la JVM est généralement nulle. Le passage du temps et de faibles taux d’intérêt génèrent également une JVM supérieure. Quelques autres critères, énumérés dans la circulaire IC89-3 de l’ARC, doivent aussi être considérés.

Si une société désire céder sa police à son actionnaire, la situation est cependant moins rose car l’actionnaire doit réellement payer la JVM de la police sous peine d’être frappé par 15(1) L.I.R. encore une fois.

De plus, la société cédante aura un gain imposable comme un revenu de bien, c’est-à-dire à un taux de 46,57 % (moins l’IMRTD de 26,67 % lorsque des dividendes imposables seront versés) en 2011. Cette situation est vraie dans le cas où l’actionnaire est une personne physique mais également dans le cas où l’actionnaire est une autre société contrôlant la société cédante.

Il va sans dire qu’il est préférable qu’une société ne faisant pas l’objet d’une vente possible détienne une police d’assurance vie. En effet, lorsqu’une société opérante détenant une police d’assurance vie est vendue, l’acheteur voudra rarement conserver la police à l’intérieur de la société. La police devra donc faire l’objet d’un transfert non désirable si l’actionnaire veut la maintenir en force. Sinon, il y aura rachat et possiblement impôt à payer par la société avant la vente.

Un autre inconvénient de la détention d’une police d’assurance vie dans une société opérante est que les actions de cette dernière pourraient faire l’objet d’une disqualification au titre d’actions admissibles d’une petite entreprise.

En effet, au moment de la vente des actions d’une société, au moins 90 % de la valeur marchande de ses actifs doit servir à l’exploitation de l’entreprise. Il est donc possible qu’une police d’assurance vie ait une valeur, la valeur de rachat en vertu de 70(5.3) L.I.R., qui nuise à ce pourcentage. Si les actions sont disqualifiées, l’actionnaire ne pourra profiter de la déduction pour gain en capital de 750 000 $.

La situation idéale est donc la détention d’une police d’assurance vie dans une société de gestion et non dans une société opérante. Cette société de gestion devrait être le titulaire de la police, le bénéficiaire et le payeur et en voici les raisons :

Titulaire : le CBR lui appartient. Comme le CBR vient réduire le montant du compte de dividendes en capital (CDC), il pourrait être tentant de faire détenir la police par une autre société afin d’avoir un « plein » CDC au décès. Cependant, ce léger inconvénient est amplement compensé par le fait que l’ARC a cette situation en vue et pourrait alléguer la RGAÉ si aucune raison économique valable ne justifie cette position.

Bénéficiaire : le capital décès, soustrait du CBR, est versé dans le CDC, ce qui permet aux autres actionnaires ou à la succession de l’actionnaire décédé de pouvoir toucher des sommes libres d’impôt au moment du décès.

Payeur : comme nous l’avons vu, les primes étant payant avant impôt personnel résultent en une économie d’impôt. Cette situation ne peut déclencher d’avantage imposable à l’actionnaire ou d’avantage conféré en vertu de la RGAÉ.

Autrement dit, cette situation est propre aux yeux de l’ARC et est efficace au niveau fiscal.

Finalement, pour ce qui est de la déductibilité des primes, lorsque les critères sont rencontrés en vertu de l’alinéa 20(1)(e.2) L.I.R. , c’est la société qui paie les primes qui peut bénéficier de la déduction même si elle n’est pas le titulaire de la police. Rappelons ces critères afin qu’une prime d’assurance soit déductible du revenu d’un particulier ou d’une société :

  • Un intérêt est cédé à une institution financière véritable;
  • L’emprunt doit porter des intérêts déductibles, c’est-à-dire que le produit de l’emprunt doit être investi et générer un revenu d’entreprise ou de bien;
  • La cession doit être exigée par l’institution prêteuse à titre de garantie.

La partie déductible est égale au minimum entre la prime payée dans l’année afférente au solde du prêt et le CNAP.

Voilà un survol de la fiscalité de l’assurance vie, particulièrement dans un contexte corporatif. Malgré toutes ces règles techniques, les principes de base sont relativement simples et souvent dictés par le gros bon sens.

Avant de procéder à un changement quelconque au niveau de vos polices d'assurance vie, assurez-vous d’avoir regardé les pièges possibles et consulté un spécialiste au besoin.

Rappelez-vous également que les « vieilles » polices peuvent comporter des avantages qui ne sont plus disponibles de nos jours. Deux dates sont à retenir particulièrement : le 2 décembre 1982 et le 26 avril 1995. Si ces dates ne vous disent rien, de grâce, ne touchez pas à vos acquises avant ces dates…